"Il faut arrêter de croire que Trump est le maître du monde"
Tribune
Cyrille SCHOTT
Ancien conseiller du président François Mitterand, préfet de la région honoraire, ancien directeur de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), coauteur de Souveraineté et solidarité, un défi européen (Le Cerf, 2021)
Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump multiplie les menaces et fait trembler la paysage géopolitique. Pour Cyrille Schott, face à cette remise en question de l'équilibre du monde, l'Europe doit assumer résister et s'imposer en leader démocratique, guidant une partie du monde vers la stabilité et la paix.
Donald Trump tonitrue et se présente en maître du monde, faisant les gros titres de l'actualité, troublant et jetant la panique ici et là sur terre. Le bilan international de son premier mandat fait toutefois songer à un "tigre de papier". Afghanistan : il proclame sa force en larguant en 2017 la plus puissante, "la mère de toutes les bombes"... et il signe en 2020 avec les talibans l'accord de Doha, qui va leur livrer le pays.
Corée du Nord : il voit plusieurs fois le tyran Kim Jong-Un pour arrêter son programme nucléaire...et le programme se poursuit de façon déterminée. Iran : il retire les États-Unis de l'accord de contrôle du programme nucléaire iranien...et l'Iran reprend le chemin vers l'arme nucléaire, tout en développant ses alliances. Canada et Mexique : furieux du déficit commercial avec ces pays, il les contraint à renégocier l'accord de la zone de libre-échange Alena...de sorte que ce déficit s'accroît.
Covid : il donne au monde l'image d'un pays incapable de gérer la crise. Organisations internationales : il se retire de l'accord de Paris sur le climat, suspend la participation à l'Organisation mondiale de la santé, attaque le multilatéralisme...et tout continue à fonctionner sans la présence des États-Unis, la Chine s'engouffrant dans la brèche et parvenant à prendre la tête de quatre des 15 agences spécialisées de l'ONU.
Chine : ayant pris conscience du défi qu'elle représente, Donald Trump prend des mesures sévères, notamment douanières, pour ralentir sa croissance, en particulier dans les domaines sensibles...et le PIB de la Chine croît entre 2016 et 2020 de près de 31 %, passant de 11 milliards de dollars à 15 milliards, tandis que celui des États-Unis progresse de 13,4% de 19 milliards à un peu plus de 21 milliards de dollars, la Chine augmentant même ses excédents commerciaux et sa place dans les domaines sensibles.
Europe : Trump considère l'Union Européenne comme une ennemie sur le plan commercial et taxer acier et aluminium...l'Europe réagit intellgemment, le fait reculer et maintient l'excédent commercial ; il agonit ses partenaires européens, qui ne dépensent pas assez pour leur sécurité, et laisse planer le doute quant à la garantie américaine dans le cadre de l'Alliance atlantique... ce qui condut effectivement les Européens à augmenter les dépenses militaires et à poursuivre, même si c'est avec difficulté et si cela reste insuffisant, leur cheminement vers l'autonomie stratégique.
Un coup terrible à l'image des États-Unis
Un succès semble lui être reconnu : les "accords d'Abraham" entre Israël et les Émirats Arabes Unis, Bahreïn, le Soudan et le Maroc, la question palestinienne paraissant dépassée...et celle-ci resurgit avec férocité lors des massacres du 7 octobre 2023 commis par le Hamas, ces massacres remettant en cause l'édifice Trumpien. C'est Joe Bidenqui fait reprendre aux États-Unis le chemin de la puissance dans les affaires du monde.
Aujourd'hui, l'exercice du pouvoir, auquel Trump serait mieux préparé, est dominé par ses imprécations ignorant délibérément le droit international : volonté d'annexion du Groenland et du canal de Panama, voire du Canada ; taxations douanières envers le Canada, le Mexique, la Chine, l'Europe, le monde entier ; retrait de l'OMS et à nouveau de l'accors de Paris ; expulsion des Palestiniens de la bande de Gaza ; menaces envers l'Ukraine...
D'ores et déjà, Trump porte un coup terrible à l'image des États-Unis, ceux-ci rejoignant les pays égoïstes et prédateurs, au lieu de s'affirmer comme la tête du monde libre et démocratique. En malmenant l'institution d'influence qu'est l'USaid, l'agence de développement américaine, il libère le terrain à d'autres États. Il abandonne l'image d'une puissance pacifique et raisonnable à un pays comme la Chine.
Les organisations iinternationales continueront à tourner sans lui, malgré les coups portés, et subiront d'autres influences, comme la chinoise déjà évoquée. Quant à la place des États-Unis dans le commerce international, elle ne s'améliorera guère.
La résistance des Européens
Cela écrit, l'Europe ne peut ignorer les menaces pour son commerce et sa sécurité des initiatives de Trump. Pour le commerce, champ qui relève du communautaire, la Commission européeene a les pouvoirs et les compétences pour réagir efficacement.
Quant à la sécurité, le sujet est plus difficile. Le spectre des accords de Munich de 1938 resurgit pour l'Ukraine, dont le sort pourrait être scellé par-dessus sa tête et celle des Européens. On peut craindre la vision de Trumpde l'équilibre du monde. Il faut se rappeler la théorie du Grossraum, du grand espace, de Carl Schmitt, ce juriste et philosophe allemand qui fut proche du nazisme. Chaque puissance majeure dominerait un espace proche, dans lequel toute intervention étrangère serait interdite. La paix serait le fruit de l'entente entre ces puissances impériales quant à leur Grossraum.
Aux États-Unis reviendrait l'espace américain, conformément à la doctrine de Monroe, espace auquel appartiendrait aussi le Groenland. La Chine aurait pareillement son espace dont ferait évidemment partie Taïwan, ainsi que la mer de Chine. Quant à la Russie, son Grossraum incluerait au moins l'élément slave de l'ancien empire russe, dont la Biélorussie et l'Ukraine, voire déborderait sur d'autres pays, comme les Baltes, désormais membres de l'Union Européenne et de l'Alliance atlantique. Il est à redouter que cette pensée du Grossraum inspire Trump et son équipe.
L'Union Européenne serait condamnée dans un tel schéma, voire à être partagée entre les espaces américain et russe. Elle ne peut ignorer la menace existentielle en résultant pour elle. L'Europea la capacité, si elle en a la volonté, de faire face à cette menace. Au-delà, si elle maintient sa cohérence, elle peut s'affirmer dans le monde comme la vraie puissance démocratique, non dominatrice, mais amicale.
L'heure est à la résistance des Européens, qui peut inclure l'européanisation de l'Otan. Il faut arrêter de croire que Trump est le maître du monde. Quoi qu'il en soit, ou Trump obtiendra des résultats tangibles là ou il lance ses imprécations, ou il dévoilera que les États-Unis n'exercent pas la domination qu'il leur prête. Alors, il mettra à nu un recul de puissance. À l'"America First", d'autres vont répliquer par le "Moi d'abord". Et le Maga, "Make America Great Again", risque de se traduire en "Make America Weaker", "Rendre l'Amérique plus faible !"