L'attractivité et le rayonnement de la France
Strasbourg, une capitale européenne, atout de la France
Depuis 75 ans, la ville de Strasbourg abrite de nombreuses institutions européennes, incarnant ainsi un statut de capitale européenne, au carrefour stratégique d'un nombre important d'États du continent.
Ce jour-là, l'ensemble des conseilles maîtres, en formation de chambre du Conseil, était rassemblé dans la Grand'chambre du palais Cambon, le siège de la cour des comptes. Le train à grande vitesse entre Paris et Strasbourg figurait à l'ordre du jour. Le rapporteur mettait en délibération un avis dans lequel pontaient bien des réserves à l'égard d'un projet reliant la capitale à une ville de province éloignée, du lointain est de la France. Je demandai la parole. Je me levais et soutins que cet investissement avait une dimension européenne, que le TGV irait au-delà du Rhin, que Strasbourg n'était pas une ville de province quelconque, mais une capitale européenne qui devait être convenablement reliée à la française. Mes collègues était gens bien élevés. Sans qu'ils eussent besoin de me contredire, je perçus dans le regard de ceux installés près de moi l'indulgence polie et légèrement navrée à l'égard d'un Alsacien incapable, selon eux, d'élever son raisonnement au-delà de l'attachement à sa région natale.
À la vérité, je ne fus pas vraiment surpris. Je me souvins d'une conversation que j'eus, alors que j'était préfet d'un département sous le gouvernement de Michel Rocard, avec l'un de ses importants conseillers, lui-même d'origine alsacienne, mais convaincu par les arguments technocratiques développés dans tant de milieux parisiens, selon lesquels la logique voulait que l'on regroupât à Bruxelles les institutions européennes et donc que l'on y déplaçât le Parlement de Strasbourg. Tel fut également le sentiment dominant des auditeurs de l'Institut National des hautes Études de la Sécurité et de la Justice (INHESJ), que je dirigeais entre 2014 et 2016, et qui s'exprimait lors des visites d'information que nous réalisions annuellement à Bruxelles. Ces courtes vues sont hélas si répandues.
Or, Strasbourg est, oh combien, capitale européenne !
Strasbourg, capitale de la "Grande Europe" et des cités des Droits Humains
Le 8 août 1949 se réunit dans les salons de son hôtel de ville le fondateur Comité des ministres du Conseil de l'Europe, qui a été créé par le traité de Londres du 5 mai 1949 et qui constitue la première organisation européenne issue de la volonté de tourner définitivement le dos aux horreurs du passé. Deux jours plus tard, le 10 août, dans l'aula de l'Université de Strasbourg débute sa première Assemblée parlementaire. Winston Churchill va y assister. Dans son discours de Zurich le 19 septembre 1946, il avait appelé à "reconstituer la famille européenne" et à "ériger quelque chose comme les États-Unis d'Europe", dont "le premier pas pratique... prendra la forme d'un Conseil de l'Europe." Il va appeler, en français, à une "Europe unie" devant les Strasbourgeois venus l'écouter en masse et avec enthousiasme sur la place Kléber, la principale place publique de la ville.
Une année plus tard, le 4 novembre 1950, le Conseil de l'Europe, qui s'est établi à Strasbourg, enregistre un premier succès majeur : l'adoption de la Convention européenne des droits de l'homme à Rome. Inspirée par la Déclaration universelle des droits de l'homme votée par l'assemblée générale des Nations unies en 1948 à Paris, elle va beaucoup plus loin, en ouvrant une révolution politique et juridique : elle prévoir la création d'une Cour pouvant être saisie par toute personne résidant sur le territoire d'un État membre. La Cour européenne des droits de l'homme, appelée en abrégé la Cour de Strasbourg, voit le jour en 1959. Le Palais des droits de l'homme, conçu par l'architecte britannique Richard Rogers et construit entre 1992 et 1994, abrite aujourd'hui les 47 juges élus par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et qui veillent à ce que les droits fondamentaux sur des personnes résidant sur le territoire de l'un des États membres soient effectivement garantis. Depuis sa création, la juridiction a rendu plus de 16 000 arrêts, qui ont abouti à de nombreuses modifications de législation et ont renforcé l'État de droit en Europe. Elle fait de Strasbourg la Cité des droits humains.
Lorsque les pays d'Europe centrale et orientale font tomber le joug des dictatures, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe créé en mai 1990 la "Commission européenne pour la démocratie par le droit", communément appelée "Commission de Venise", du nom de la cité où elle fut conçue. Cette Commission va accompagner de façon décisive l'évolution institutionnelle de ces nations vers la démocratie et l'État de droit, ainsi que leur accueil au sein du Conseil de l'Europe. Elle va rayonner au-delà du continent, en diffusant son patrimoine constitutionnel, de sorte qu'elle comprend désormais 61 États membres, dont 15 non-européens.
La Russie en ayant été exclue en 2022 après son agression de l'Ukraine, le Conseil de l'Europe réunit 46 États, peuplés de 675 millions d'habitants. Il promeut une action commune dans les domaines économique, social, culturel, scientifique, juridique et administratif, en veillant à la sauvegarde et au développement de la démocratie. Il siège dans le Palais de l'Europe à Strasbourg, faisant de cette villela capitale de lla "Grande Europe", en tant que cité de la démocratie et de l'État de droit.
Strasbourg, ville de naissance des symboles de l'Europe
Le drapeau européen bleu azur aux douze étoiles d'or a été adopté par le Conseil de l'Europe en 1955, avant de l'être en avril 1983 par le Parlement Européen, et de devenir ainsi l'emblème de notre Union Européenne. Il a été conçu à Strasbourg par Arsène Heitz, un Alsacien dessinateur de talent, qui servait au sein du service du courrier du Conseil de l'Europe.
C'est également à Strasbourg que le Conseil de l'Europe décide en 1972de faire de l'Ode à la joie" de Beethoven son hymne, à la suite d'une proposition du "comité sur les autorités territoriales" présidée par le Strasbourgeois René Radius. C'est en 1985 que les chefs d'État et de gouvernement, réunis en Conseil Européen, l'adoptent comme symbole officiel de la Communauté économique européenne, qui deviendra l'Union Européenne.
Les symboles de l'Europe sont nés à Strasbourg.
Strasbourg, capitale législative de l'Union Européenne
Lorsque la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier, la CECA, se met en place, son Assemblée commune s'installe à Strasbourg dans les locaux du Conseil de l'Europe. Issue de la Déclaration du 9 mai 1950 prononcée par Robert Schuman, ministre français des Affaires Étrangères, dans le salon de l'Horloge du quai d'Orsay à Paris, cette Communauté réunit les industries de guerre sous une autorité européenne unique. Elle signifie la réconciliation entre la France et l'Allemagne, et, au-delà, ce miracle de la paix inscrit dans le chemin, initié par les six États membres, qui va mener à l'Union Européenne. L'accueil de cette Assemblée parlementaire, dont va naître, lors des évolutions successives de la construction européenne, le Parlement Européen, constitue un symbole puissant : c'est autour de Strasbourg et de l'Alsace que la France et l'Allemagne se sont affrontées, que l'Europe s'est déchirée. Et c'est là, autour du Rhin, qu'elle s'est retrouvée, que le miracle de la paix s'est accompli !
Le Parlement Européen dispose depuis 1999 de son propre palais, appelé modestement le bâtiment Louise Weiss, une splendide expression de l'architecture contemporaine. C'est là qu'il se réunit en session plénière une fois par mois, sauf durant le mois d'août, avec des pouvoirs renforcés depuis son élection au suffrage universel en 1979 et particulièrement par le traité de Lisbonne, entré en vigueur en 2019. Lors de la session plénière, organe suprême de décision, se déroule la discussion finale, sont adoptés les textes, sont posées les questions à la Commission ou au Conseil, se tiennent les débats d'urgence, sont présentées les déclarations de la présidence. Cette session focalise l'attention des médias.
C'est à Strasbourg qu'à été élue, sur proposition du Conseil Européen, la présidente de la Commission Européenne et qu'est soumis à un vote d'approbation chacun des 27 commissaires proposés par les États membres, en accord avec la présidente élue de la Commission. C'est à Strasbourg que cette présidente prononce son discours annuel sur l'état de l'Union. C'est à Strasbourg que le Parlement peut, par le vote d'une motion de censure, contraindre la Commission européenne à démissionner.
Ces pouvoirs, législatif et de contrôle, s'expriment à Strasbourg, même si les commissions du Parlement se réunissent le plus souvent à Bruxelles, où se tiendra aussi des "mini sessions". Strasbourg est la capitale législative de l'Union Européenne.
C'es là aussi que les consciences du monde, comme Nelson Mandela, sont récompensées par le prix Sakharov du Parlement Européen, le "Nobel de la paix européen", que se lèvent les voix célébrant l'Europe, comme celles des papes Jean-Paul II et François, qu'est rendu l'hommage solennel à un grand Européen comme Helmut Kohl. C'est là que les dirigeants des États membres viennent présenter, devant le Parlement, leur vision de l'Europe.
Strasbourg, au coeur de la défense européenne
L'Eurocorps a été créé en 1992 à l'initiative de François Mitteranc et de Helmut Kohl. Fort de plus de 1 000 militaires, cet état-major multinational de niveau corps d'armée, auquel participent six nations cadres, la plus récente étant la Pologne, et cinq associées, est capable de commander, pour l'UE ou pour l'OTAN, 60 000 soldats. Il occupe deux quartiers à Strasbourg.
Non loin, dans le pays de Bade, à Müllenheim est situé l'état-major de la brigade franco-allemande, créée en 1989 à l'initiative des deux mêmes hommes d'État, et dont l'une des unités, le 291e Jäger-bataillon allemand, tient garnison à Illkirch-Graffenstaden, dans l'agglomération strasbourgeoise. Forte de 6 000 hommes, la brigade est placée dès le temps de paix sous le commandement opérationnel de l'Eurocorps, dont elle constitue la capacité de réaction initiale.
Strasbourg est au coeur de la construction de la défense européenne.
Strasbourg abrite encore d'autres institutions européennes, comme le Médiateur Européen, la chaîne culturelle européenne de télévision Arte, le site opérationnel de l'Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice (eu-LISA), qui gère notamment le système d'inforamation Schengen et le système d'information des visas.
Strasbourg, où souffle l'esprit de l'Europe, fait rayonner la France
Opposer Strasbourg à Bruxelles s'apparente à une faute de l'esprit. La ville belge est la capitale européenne où siègent la Commission et le Conseil de l'UE. C'est la capitale de l'Exécutif, la ville où les responsables politiques et les techniciens de l'Union élaborent les projets et les compromis permettant à l'Europe d'avancer. Son rôle est incontournable et doit être salué. Il est parfois ingrat. Cette capitale est la cible de tous ceux qui n'aiment pas l'Europe. Elle incarne, à son corps défendant, ce que certains vilipendent comme "l'impérialisme européen". Si Bruxelles en devenait la seule capitale, la perte serait immense pour l'Europe, le coup serait terrible pour l'Europe ! Ne resterait comme capitale qu'une ville qui ne peut incarner le rêve d'Europe.
C'est à Strasbourg que celui-ci s'incarne. Le coeur de l'Europe bat à Strasbourg, où s'est écrite l'histoire du miracle de la paix. Elle est la capitale où souffle l'esprit. Le partage des rôles entre Bruxelles et Strasbourg est indispensable à l'équilibre de l'Europe, à sa place dans l'imaginaire des peuples. L'Europe dispose de trois capitales, Bruxelles, Strasbourg et Luxembourg pour la justice. Son histoire et sa nature même veulent qu'elle soit polycentrée.
Que cette capitale européenne soit située sur le sol de la France représente une chance immense pour notre pays et son rayonnement. Partout en Europe et au-delà, Strasbourg est connue et les événements qui s'y déroulent bénéficient d'un écho continental, voire mondial. Les présidents et gouvernements français, en ne cessant de soutenir la vocation européenne de Strasbourg, semblent l'avoir compris. Il rest qu'à Paris, dans les régions, parmi les élites, au sein même de la population française, Strasbourg est d'abord vue comme une métropole régionale, mais est méconnue dans cette essentielle dimension européenne. Puisse ce texte éclairer des lecteurs.